08/04/2014

Psychose et Spiritualité


   L'Anti-psychiatrie est un mouvement des années 70 qui ne manquait pas de souligner les faiblesses du système de soin proposé aux personnes atteintes de psychose. De fait, la psychiatrie conventionnelle est une branche de la société, régie par les mêmes règles et donc assujettie aux mêmes limitations. Ainsi, ses représentants sont assignés aux mêmes exigences d'un ego pouvant limiter la portée de leur aide. Tous fous ! Telle est bien la réalité au regard des éveillés, seuls effectivement libres de tout dysfonctionnement tant névrotique que psychotique. Mais découlant d'une méconnaissance de cette seule référence valable, la névrose est érigée comme "norme" quand elle relève du plus grand nombre. Et les représentants de cet ordre par trop établi ne sont ainsi aptes à prodiguer qu'une aide très limitée à ceux dont la différence peut être entretenue quand elle sert de marche-pied pour justifier la mise en avant de la seule santé d'esprit des autres. Pourtant, dans les cas où la folie suscite une certaine expérience méconnue de la profession soignante, une autre référence prend définitivement place dans l'esprit. Une plus authentique Normalité que celle entre guillemets qui appelle les personnes l'ayant éprouvée à cette seule guidance spirituelle capable de leur venir vraiment en aide - au lieu de leur seul retour escompté dans le meilleur des cas par la psychiatrie, à un état de névrose définissant la "normalité" quand il est généralisé.     

Bien qu'elle ne délivre pas forcément des souffrances de l'enfermement liées à la folie qui en constitue l'origine, l'expérience d'unité psychotique initie néanmoins à un degré de progression appréciable sur la voie du plein éveil spirituel. Elle est la porte d'entrée sur la voie du grand véhicule bouddhique des bodhisattvas, en ce sens qu'elle confère le pouvoir d'influer directement sur le monde par la seule force de l'esprit. Simplement, parce qu'il manque encore d'être maîtrisé à ce stade, ce pouvoir résulte en autant de maux que de bienfaits pour tous en attendant. Mais il constitue indéniablement un potentiel réclamant d'être optimisé, réorienté dans le sens du seul bienfait de tous devant prévaloir à terme, une fois neutralisée la priorité accordée à soi-même seulement, qui en mitige ou empoisonne tellement les effets en attendant.

On traduit généralement l’expression tibétaine lha.dre par "dieux et démons", mais il vaudrait sans doute mieux la rendre par dieu-démon, ces deux termes ne formant en tibétain qu’un seul et même concept, comme dans la tradition occidentale, d’ailleurs, où le terme démon désigne un "être surnaturel, bon ou mauvais, inspirateur de la destinée d’un homme ou d’une collectivité". La tradition populaire a tendance à considérer ce qui est bénéfique et plaisant comme un dieu et ce qui est nuisible ou néfaste comme un démon. Mais Machik nous met en garde contre ce genre de superstition car la nature de ces dieux-démons est instable et aléatoire : un dieu, si plaisant ou bénéfique soit-il, peut se transformer en un démon, et ce qui semble démoniaque à première vue peut se révéler à long terme bénéfique. Note annexe : Ces derniers sont instables et peuvent être bénéfiques ou nuisibles selon les circonstances et le regard qu’on leur porte.
(Machik Labdron femme et dakini du Tibet, Jérome Edou / Ed. Snowlion)

Précision :

Toutefois l'efficacité des remèdes psychiatriques est avérée pour stopper les crises d'épisodes délirants. Simplement, le reproche peut lui être adressé de limiter son action au symptôme du mal, sans indiquer en complément de cette intervention salutaire l'autre piste toute aussi nécessaire d'un travail intérieur se préoccupant de la cause.

L'expression 'antipsychiatrie', qui a donné son nom à l'ensemble des réflexions prometteuses initié par Ronald Laing et David Cooper, exprime l'idée malheureuse d'une opposition à la psychiatrie conventionnelle, avec laquelle on pourrait espérer la voir entretenir une meilleur relation basée sur un intérêt réciproque pour le meilleur aménagement possible des personnes en souffrance. Mais j'ai cru comprendre dernièrement que cette opposition se voyait justifiée par une différence de vue dont je ne saurais pas vraiment rendre compte ici... Un ouvrage phare de ce mouvement novateur, dont les idées ont toutefois fait leur chemin depuis en vue de leur intégration relative par la psychiatrie officielle, est Voyage à-travers la folie, co-écrit par Mary Barnes et son médecin le Dr J Berke.

Outre sa valeur spirituelle de potentiel optimisable, cette expérience a une autre importance dans le traitement du sujet principal développé sur ce blog. L'étude des thèses complotistes est en effet rendue possible et fructueuse sans courir trop de risques, grâce à elle. Car ce champ d'investigation consiste en une même quête de vérité, quasiment, que le chemin du plein éveil des qualités naturelles de l'esprit, libérées de limitation. La préciosité d'une telle expérience (si elle a bien valeur d'authentique réalisation, soit-elle partielle, de la nature ultime de la réalité) s'avère infiniment utile dans tout cadre de recherche posant une question jugée essentielle. Ceci pour la simple et bonne raison que ce qui est su désormais, comme acquis de manière définitive depuis que cela fut réalisé par cet esprit, confère la connaissance du caractère illusoire ou partiel de toute réalité habituellement considérée comme telle. Ainsi toute situation s'offre aisément à pouvoir être expérimentée du seul fait qu'on se trouve assuré de ne pas pouvoir y sombrer comme si elle pouvait être totale. Toujours, on sait qu'une autre "parcelle de réalité" l'accompagne, délivrant de toute crainte de quelque danger apparent que ce soit.  

Pendant longtemps, interdiction fut faite aux fous d'écrire sur LEUR folie. Le statut de la parole du fou, une perspective socio-historique : Pour le sociologue Krzysztof Skuza, le statut de la parole du fou n’a guère évolué depuis l’époque médiévale : rebaptisé malade mental, il est toujours condamné au silence. Notre société dénie à sa parole toute valeur et signification : "sa parole ne serait nécessairement qu’une production verbale inopinée, intempestive et absurde (…). Ce qui est exclu, ce n’est pas le fou en tant que personne, mais bien l’énonciation de la folie à la première personne. Le levier de cette exclusion, qui a adopté de multiples justifications d’ordre moral ou thérapeutique, est l’assimilation du sujet de l’énonciation (le fou) au sujet de l’énoncé (la folie). Parmi les justifications d’ordre moral, citons l’interdiction de l’insane littérature ou de l’écriture folle qui, dès l’avènement des asiles, a privé les aliénés de papier et de plume et a permis la confiscation et la destruction systématiques de leurs écrits. Le célèbre cas d’Agnes Richter (…), internée contre son gré pendant plus de 18 ans et qui a contourné l’interdiction en brodant son récit sur sa veste d’asile, constitue désormais le symbole du besoin de communiquer de tant de patients psychiatriques."



Pression des nouvelles mentalités sur le DSM – le cas des problèmes religieux ou spirituels  
Résumé : Les éditions successives du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) rythment l’histoire de la psychiatrie depuis 1980, avec à chaque fois une refonte des classifications. Les axes supplémentaires et les nouvelles catégories semblent davantage varier en fonction de négociations avec des corps sociaux que sur des bases scientifiques. Le DSM fonctionnerait alors comme le miroir psychologique de la société dans laquelle il se développe. Cette perméabilité aux attentes du champ social et aux pressions des nouvelles mentalités est examinée à travers la catégorie « problèmes religieux ou spirituels » créée dans l’édition du DSM-IV de 1994. Pressée par les arguments des tenants de la psychologie transpersonnelle, l’American Psychiatric Association a défini une catégorie d’expérience religieuse ou spirituelle pénible pouvant apparaître comme un trouble mental si elle est sortie de son contexte, mais qui ne serait qu’une « réaction normale » à ne pas attribuer à une pathologie. Les arguments des psychologues transpersonnels font ici l’objet d’une analyse critique. En définissant la normalité dans le rapport au religieux et au spirituel, le DSM a ouvert la porte à un ensemble d’expériences aux contours très flous dans un renversement important du rapport de la psychiatrie aux croyances. Mais on peut craindre que cet abord « dépathologisé » de ces expériences vienne conforter une économie psychique floutant la subjectivité au profit d’une centration narcissique sur des vécus fascinants.


Liens en vrac :
- http://www.inventionpsychanalyse.com/hallucinations.php
http://etrangestudesdudocteursingleton.blogspot.fr/2011/02/perceval-le-fou.html
- http://www.nathaliediprimio.pro/article-34203683.html (spiritualité, religion, maladie mentale)
-.http://www.mondeo.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=701&Itemid=1&ed=24
- http://meta-gaia.angelfire.com/distinguish_numinous_psychic.html
- http://historypsychiatry.com/2010/10/31/book-announcement-images-de-la-folie/
- http://www2.ac-lyon.fr/etab/lycees/lyc-42/fauriel/spip.php?article495
- http://www.collectifpsychiatrie.fr/
- http://folieculture.org/2007/12/petit-dictionnaire-des-idees-recues-sur-la-folie-et-autres-considerations/
- http://www.cairn.info/au-plus-pres-de-l-experience-psychotique--9782749211350.htm
- http://fr.wikiquote.org/wiki/Exp%C3%A9rience_psychotique

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